Les principes fondateurs des Lumières sont ils contestables ?

 Dans le Monde du 19 août 2013[1], l'historien et penseur politique israélien Zeev Sternhell et le journaliste qui l'interview s'émeuvent de la « persistance d'un certain esprit anti Lumières «  en France.

S'il est des principes qui ne souffrent aucun compromis, d'après ce que suggère cet article, ce sont les idéaux hérités de la philosophie des Lumières, comme l'appelle Sternhell : idéaux de liberté, de progrès, de rationalisme, ... Si l'on en croit les arguments avancés dans cet article, les idéaux hérités des Lumières sont et doivent rester la référence absolue de la modernité culturelle, scientifique, philosophique, politique et sociale.

Je ne me prononcerai pas sur le fond mais sur la forme. Quel que soit par ailleurs l'intérêt des questions soulevées dans cet article, si on se situe au plan de la stricte logique, il semble qu'il y ait quelque chose de paradoxal à ériger l'esprit des Lumières en dogme ! Car, si je me souviens bien, en pensant en particulier à Descartes, Newton, Kant, Diderot.. bref à tous ceux qui sont à l'origine de ce mouvement philosophique, c'est bien contre toutes les formes de dogmatismes que la pensée des Lumières s'est initialement construite ! « aie le courage de te servir de ton propre entendement ! telle est la devise des Lumières » nous dit Kant[2].

Le rationalisme critique est l'algorithme fondateur des Lumières. Si l'on veut rester cohérent avec le mouvement fondateur il faut savoir penser par soi-même, il faut être capable d'appliquer l'esprit critique, c'est-à-dire l'esprit des Lumières, à la philosophie des lumières elle-même.

Si le principe de l'esprit des Lumières réside dans l'affirmation que rien ne saurait échapper à l'esprit critique, cela revient à dire que cette proposition est vraie indépendamment de tout contexte. C’est donc faire de cette affirmation une vérité apodictique. Le principe de l'esprit des Lumières qui affirme que rien ne saurait échapper à l'esprit critique, est lui même concerné par cette remise en cause. Ce qui annule son caractère apodictique. On est face à un énoncé qui ne peut se dire sans s'annuler[3].

Dans ce cas, l'algorithme fondateur des Lumières débouche sur une autoréférence paradoxale donc sur l'impossibilité de conclure définitivement.

A l'inverse si l'affirmation que rien ne saurait échapper à l'esprit critique, n’est qu’un jugement problématique, cela signifie que les principes fondateur des Lumières peuvent être sujets à débat et que les idéaux et les principes hérités des Lumières ne sont donc pas incontestables. CQFD. 

Jean-Claude Marot, septembre 2013

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[1] Le Monde 19/08/13; "la droite de combat est toujours là", Zeev Sternhell propos recueillis par Nicolas Weill

[2] E. Kant (1784) « Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? » Traduction : Jean-François Poirier et Françoise Proust, éd. Flammarion, coll. GF, Paris, première édit. 1991.

[3] Isabelle Thomas-Fogiel, "Référence et autoréférence", Vrin 2006